Projet Tarot : 7 – la Roulotte

We’ll ride through the city tonight
See the city’s ripped backsides
We’ll see the bright and hollow sky
We’ll see the stars that shine so bright

-Iggy Pop

 Combattez l’envie d’être bien vu des autres.

-Etty Illesum

Il se peut – il est extrêmement probable – que ta vie n’ait pas été exactement dans le sens que tu l’aurais souhaité et peut-être aurais-tu des griefs, ou quelques leçons de civisme, à adresser à Dieu. Il se pourrait que la Roulotte, arcane indicateur d’héroïsme, d’action dans le monde, d’entreprise menée à bien, de voyage et de victoire, surgisse d’un tirage au moment où les choses te semblent aller trop lentement, trop péniblement, quand ta vie ressemble presque à une impasse.

Peut-être le jeu – le tarot n’est toujours qu’un jeu, un jeu de perspectives qui plus est – t’invite-t-il à décaler ton regard et à observer d’une façon différente les atouts que tu as en main, plutôt qu’à focaliser sur tes imperfections, ou sur les limites que la vie t’a fixées, voire celles que tu t’es imposées à toi-même, en tout cas sur la case où tu sens que ça coince. Essaie de te rappeler que parmi les alliés les plus sûrs de la créativité, outre l’accident, il y a les contraintes. Bien dosées, elles sont un point d’appui pour donner de l’élan. Comme la lecture et l’expérience ont fait de toi une personne avisée, tu répondras possiblement que les diseurs de bonne aventure qui prêchent que tout ne va pas si mal sont eux-mêmes le plus souvent les alliés les plus sûrs du système, du statu quo. Tu auras raison. Mais là tu as pigé la Roulotte, quand même, donne une chance.

Je vais te raconter l’ordinaire histoire extraordinaire d’Emmett Johns. Emmett avait embrassé la carrière de prêtre car il rêvait de devenir missionnaire en Chine. Ses recteurs ayant décidé qu’il n’avait pas la vocation de missionnaire, il a œuvré la presque totalité de sa vie de curé pour différentes paroisses dans et autour de Montréal, ce qui l’a amené à fréquenter toute sorte de monde, des gangsters, des policiers, des jeunes d’écoles de redressement. Une longue vie au service de Dieu et des humains, avec une inventivité certaine – celle que ses fonctions lui permettaient – mais sans beaucoup de vagues. À 60 ans il a fait une dépression sévère et, par un instinct de vieux rêveur, il a décidé d’acheter une vieille roulotte campeur, afin de sillonner les rues nocturnes de Montréal et y distribuer des hotdogs, des cigarettes, des condoms, des vêtements, et y développer une amitié indéfectible avec les jeunes de la rue.

Son initiative a très rapidement inspiré un grand nombre de gens, puis d’organismes. L’humble prêtre avait tracé une voie d’amour, d’humanité et de solidarité. Si Pops avait été missionnaire en Chine, aurait-il aidé et inspiré autant de gens? L’histoire ne le dira jamais ; ce qui est certain par contre, c’est que son choix de retourner à ce qui avait fondé ses rêves a ouvert des possibles, des possibles inestimables, tant pour les jeunes qu’il a côtoyés et regardés en ne leur reflétant toujours que leurs beauté, leurs potentialités et leurs richesses, que pour lui-même et pour toute la communauté. Autre chose certaine, personne ne pourrait dire aujourd’hui que le père Emmett Johns n’a jamais été un missionnaire, ni surtout qu’il n’a pas été beaucoup plus qu’un missionnaire.

Tu es déçu de mon histoire? Tu la trouves peut-être trop pétrie de charité chrétienne. Tant qu’à faire dans le religieux, tu aurais sans doute préféré que je te raconte l’Abbé Pierre, Paulo Freire, ou un modèle de la théologie de la libération. Je ne sais pas si lui aussi aurait préféré être plus flamboyant, ou plus exotique. Il n’avait pas trop l’attitude d’un révolutionnaire. Son super pouvoir à lui c’était l’amour, pas tant sa grande gueule. Son Dieu lui avait fait le don de ne plus craindre la mort ; il ne craignait donc rien de la vie, ni de ce qu’on pouvait penser de lui. Il n’était dès lors l’esclave de personne, tout en souhaitant être le serviteur de toustes. Je crois que c’est une façon assez certaine de reconnaitre un homme libre. Pour toute ambition il avait la relative humilité de devenir, à l’image de son unique maitre, le plus grand serviteur de ses semblables. La force lui en a été accordée : à 70 ans passés, si on l’appelait au milieu de la nuit pour un déménagement impromptu, il sautait dans son camion, roulait vers l’enfer des autres et c’est lui qui déplaçait les frigos et les gros meubles, du logis déserté au camion, et du camion à une nouvelle opportunité.

Surtout, il avait cette force intérieure (on disait d’antan la foi) de ne pas se laisser démonter par les situations extérieures, celles qui poussent les mauvaises voix internes – nos voix intériorisées – à nous chuchoter et à nous faire dire qu’on est donc « pas assez », qu’on est pas à la hauteur, qu’on n’a pas ce qu’il faut, qu’on est trop jeune, ou qu’il est déjà trop tard… Bien qu’il fût réaliste et qu’il connût bien ses limites, il pressentait aussi que son Dieu lui avait octroyé des potentialités là où son attention ne se trouvait pas. On lui refusait la Chine. Ce n’était pas pour lui. Bien. Alors il irait là où personne n’allait à l’époque, tout près, là où l’on n’attendait plus rien à part la police.

Tu n’es pas un.e loser. T’es une bibitte magnifique. Et indomptable. Et inspirante! Déploie tes élytres de feu. La route que tout le monde veut suivre n’est pas nécessairement la bonne, je te le certifie, elle mène au conformisme, au coma intime et à l’extinction de l’espèce humaine. Ce n’est pas ta voie. Si tu te sens perdu.e, c’est que tes ressources ne sont pas là où tu les cherches.

La Roulotte te dit d’avancer avec confiance. De ne pas avoir peur de tes intuitions ; surtout, de ne pas te croire trop médiocre pour elles. Une attitude généreuse envers toi-même et envers les autres te confère une noblesse, un passeport peut-être pas immédiatement universel, mais qui t’ouvre déjà les portes de l’insoupçonné, si tu es attentifve.

Embrasse le rythme du chariot. Et écoute. Écoute, être du Chariot, écoute le son de ta roulotte intérieure, ton refuge mouvant, ta maison nomade, qui n’est pas un point fixe à atteindre, qui n’est pas un char allégorique ni un véhicule de vitesse ou de prestige. Elle est ce qui devrait fonder ta pratique dès maintenant. Comme elle, tu es insaisissable et mobile. Tu ne stagnes pas, si tu déroutes. Ce passage peut sembler lent, il se peut que tu le trouves cahoteux, rugueux, bouetteux. C’est que là où tu vas, tu traces un chemin ; ce n’est pas le chemin des autres que tu fais.

Mais, tu écoutes? Quelque chose en toi sait que tu peux avancer avec assurance. Si tu as jadis eu des doutes, ton destin est clair devant toi, en toi. Tu es paisible. Tu es de tous les possibles, tu as la maitrise, la confiance, tu chevauches ton destin sans trembler. Tu as la maturité et la force. Tu regardes droit devant, tu plonges ton regard victorieux dans le cours serein des astres et souris de la course-désastre effrénée des mules et des émules de la compétition. Tu es. Tu as apaisé et réconcilié ta monture noire et ta monture blanche, sans en affaiblir une pour satisfaire l’autre, et sans les édulcorer ni contrefaire leurs caractères ; elles travaillent côte à côte, joyeuses et vigoureuses, selon leur nature.

Tu n’es plus de la course. Tu n’as plus rien à prouver. Les regards portés sur toi ne sont plus oppressants, n’ont plus de poids, et tu ne t’y soumets plus. Tu romps le pacte de pesanteur que vous aviez passé ensemble, la règle de gravité.

Ta route est généreuse, elle est juste, elle rayonne. Le mouvement de tes roues atteste les cycles que tu accomplis. Il n’y a aucune violence, aucun dérapage, pas de show de boucane sur l’asphalte. Tu prends tout le temps qu’il faut pour parcourir tes cycles. Il n’y a surtout rien à bâcler. Si la tentation d’aller trop vite te prend encore, ne t’en fais pas, c’est seulement un vieux réflexe qui remonte et qui se dissout. Tu épouses la roue des astres et le mouvement, le temps ne te fait plus peur, il ne te fuit plus, et réciproquement.

Les civilisations suivent leur cours, les révolutions pareillement. Tu les as intégrées. Tu fais corps avec. Tu es une révolution permanente. Tu es libre et tu génères la liberté autour de toi. La mort ne t’effraie plus, tu peux l’embrasser comme ce qu’elle est, une partie intégrante de la vie, comme tu embrasses tout de l’amour, de tout ton corps.

Partir ce n’est pas trahir, c’est toujours aimer, c’est obéir à la mutation.

***

QUESTIONS POSÉES PAR LA ROULOTTE (inspirées de Rachel Pollack)

  • Quel cycle suis-je en train de conclure? Que m’a-t-il appris? Quelles forces m’a-t-il montrées?
  • Quel est le saut que je fais à ce moment-ci de ma vie?
  • Y a-t-il un aspect particulier de ma vie que je voudrais honorer? Ou que j’aurais négligé d’honorer?
  • Qu’est-ce qui me permet d’avancer? Qu’est-ce qui m’en donne l’envie?

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