J’aime les figures du tarot. Celui de Marseille premièrement, mais aussi bon nombre de ses déclinaisons, anciennes et contemporaines. Très jeune, j’étais fasciné par son aspect divinatoire, par la magie et le mystère inquiétant qu’il distillait et j’aimais tirer mes amis avec un jeu que j’avais fait acheter à mon père au Salon des Métiers d’art.
Dernièrement j’ai eu un regain d’intérêt pour ce jeu, interpelé par ses aspects esthétique et symbolique. Il y a certainement du Jodorowski qui est en cause. Le Tarokado de José Acquelin et de Robert Cadot (1) y est pour quelque chose aussi ; j’ai découvert grâce à eux une poésie et une élégance que je ne soupçonnais pas dans le tarot. Un ouvrage de Rachel Pollack (2) m’a ouvert aux classiques du genre (Visconti, Rider, Golden Dawn) et j’ai connu grâce à la Toile nombre de versions singulières, particulièrement chez les queers et les féministes. Le travail de Mina Mond et son Tarot des Amazones m’a fait une impression particulièrement forte. Cela sans parler de la multitude de jeux divinatoires qui ne se réclament pas du tarot, mais qui sont parfois de magnifiques objets.
Le tarot est un vivier d’archétypes puissants qui embrasse probablement toutes les époques et les sociétés. Les arcanes s’adressent d’une façon toute personnelle à chaque individu bien sûr, mais aussi à la société dont la joueuse ou le joueur sont issues, tant chaque arcane représente une posture sociale. Chaque société recèle sa version personnelle de chacun des personnages du tarot (Fou, impératrice, Roi, Magicien, Grande Prêtresse, Diable, Mort, Ermite, etc.) ; chaque personne est tissée et pétrie des personnages et des représentations symboliques de la culture dont elle est issue. Elle en est le produit, mais elle en est aussi une (re)productrice.
Voici donc ma collection personnelle des arcanes. Ils sont parfois ressemblants, parfois dévoyés, mais toujours aussi fidèles que possible aux découvertes que ce jeu m’a amené à faire. C’est un travail souvent critique et relativement impersonnel (bien que mes goûts personnels, littéraires, politiques et spirituels y soient extrêmement présents), parfois au contraire impudique. Pour mes analyses et réécritures du tarot, j’ai en premier lieu laissé place à l’intuition, me laissant guider par ce que le langage graphique de la carte me donnait à entendre, puis j’ai confronté mes intuitions à quelques interprètes aguerries du tarot. Les interprétations illustrées et écrites qui suivront sont la synthèse de ce dialogue entre l’intuition et l’« exégèse ».
On y décèlera peut-être quelques appropriations culturelles. Je m’en excuse d’avance ; quand cela m’est arrivé dans mes travaux préparatoires, je l’ai fait avec déférence, considérant qu’un archétype « exogène » me parlait plus fort que les représentations de ma culture d’origine. Dans certains cas, c’est une démarche spirituelle qui m’a amené à explorer des traditions variées, particulièrement le christianisme, déjà prégnant dans le tarot, le bouddhisme mahayana, ainsi que la roue de guérison des nations autochtones d’Amérique du nord. Il m’a aussi semblé qu’une démarche spirituelle, sociale et a fortiori artistique, a ses raisons d’observer les archétypes, de se les réapproprier, de revoir ses stéréotypes… en espérant aussi qu’une fouletitude d’individuses puisse aussi s’y reconnaître… sachant que je suis moi-même issu de la cultures (au pluriel effectivement) punk… en fait des cultures pop, chrétienne, bouddhiste, longueuilloise, montréalaise, yukonnaise, saguenéienne, bourgeoise, prolétaire, anarchiste de rue, communautaire, individualiste, banlieusarde, urbaine, rurale, radiocanadienne, CKUTienne, radiogaliléenne, rabelaisienne, rimbaldienne, yvonnienne, uderzienne, carocaroise, électronique, etc. Il découle de cela que certains hommages auront inévitablement l’aspect trash propre à mes cultures.
Une critique sociale est toujours incomplète sans une introspection sincère. Je doute qu’aucune analyse critique subjective évente en quoi que ce soit le mystère original du tarot. En fait, j’espère surtout que ce travail saura aviver une saine inquiétude et une joyeuse vigilance.
Bonne lecture!
PS : Ce projet étant à la fois personnel et social, n’hésitez pas à me partager vos propres versions des arcanes. Ça pourrait être un travail collectif plutôt chouette!

(1) José Acquelin et Robert Cadot, Tarokado, Les Éditions de Mortagne, 1991.
(2) Rachel Pollack, La bible du tarot, Éditions AdA Inc. pour l’édition française, 2010.