Carême

17 février 2021

Chaque année depuis cinq ou six ans je fais carême. Je profite annuellement de cette occasion d’observer ce qu’il y a de superflu dans ma vie et de faire une expérience concrète de décroissance personnelle, tant aux niveaux alimentaire qu’intellectuel et spirituel. M’en tenir à ce que je tiens pour essentiel pour moi, durant quarante jours. J’ai donc pris l’habitude de faire subir un régime au capitalisme intérieur à travers le carême – avec plus ou moins de succès – mais je n’avais jamais assisté à la cérémonie d’envoi auparavant.

L’église de Petit-Saguenay est jolie, funky même, avec son troll géant sculpté en bois de mer, à côté de la statue de sainte Anne, quasiment comme un protecteur. C’est cute et quasiment païen. Beaucoup de représentations de saint François d’Assise, définitivement un de mes prefs! Le prêtre avait de l’humour et un souci évident de ne pas être plate, par sa façon de gesticuler et de se déplacer sur scène… pardon, dans le chœur.

Il y a eu un temps de silence après l’eucharistie (je me suis demandé si c’était safe, malgré les précautions du prêtre, en temps de COVID, j’ai même failli mettre l’hostie dans ma poche… finalement j’y ai été wild). Une occasion de prière.

Donc j’ai prié. J’ai demandé d’obtenir la foi. Et quelque chose en moi m’a demandé le pourquoi de cette étrange demande. Pourquoi je voudrais la foi? Si les rites m’irritent, si j’ai tant de résistances devant beaucoup d’images pieuses, si les récits bibliques restent lettres mortes en moi tant qu’un.e interprète (Marguerite Porete, Eckart, Thérèse d’Avila, Etty Illesum, Pierre Teilhard de Chardin, Simone Weil, Thomas Merton, Martin Steffens, Xavier Gravend-Tirole) ne vient pas les raviver, pourquoi je fais ce genre de prière… et si spontanément encore? Pour devenir un meilleur humain peut-être.

Il y a pourtant des humains – des athées – qui valent mieux que toutes mes prières, des Louise Michel, des Michel Chartrand, des Emma Goldman, des Jacques Prévert, des êtres drôlement joyeux à part de d’ça, qui ont quelque chose comme la joie du Christ, sans le Christ, qui ont placé leur joie en quelque chose de plus grand qu’elleux! Ce sont de véritables saintes athées qui ont des accès autrement plus privilégiés aux portes de saint Pierre que toutes les grenouilles de bénitier, dont je suis d’une certaine façon, qui prient constamment pour le salut de leur petite âme individuelle un peu fanée.

Pourquoi cet étrange appel-là, d’avoir la foi en quelque chose en quoi je n’ai pas la foi, qui me gêne presque?

Peut-être parce que j’ai quelque chose qui s’appellerait le début de la foi, qui s’appelle l’espérance. J’aimerais être une Goldman, avoir comme elle la foi en quelque chose, qui la dépasse tout en étant intrinsèque à elle-même, libre comme elle, férocement joyeux comme elle : « Si je peux pas danser en Christ, j’ai pas d’affaire dans votre révolution! » Mais cette précision est de trop ; danser avec le Christ, c’est déjà danser dans une révolution ; être en état de révolution, c’est par définition danser.

Parce que des gens comme Emma Goldman appellent a priori à une révolution des cœurs, sans quoi la révolution (sœur sémantique de la Révélation), sans quoi aucune révolution ni aucune révélation n’est ce qu’elle se targue d’être. Alors pourquoi je cherche la place dans mon cœur qui appelle le Christ? Pourquoi je cherche dans l’invisible? C’est en tout cas ce que font les révolutionnaires, tenter de faire advenir l’invisible (l’utopie, le Grand Soir, l’anarchie, quand les hommes vivront d’amour, etc.) dans l’ici et maintenant… Il s’agit toujours de matérialiser la révolution… de  l’incarner dirait-on aussi.

Pour reprendre l’expression bouddhiste, j’ai reçu une précieuse vie humaine… elle est précieuse en soi, certes, mais surtout à cause des possibilités qu’elle me donne, par exemple de rendre le monde plus habitable. Ce sont mes actions qui déterminent si cette vie aura réellement été précieuse, au bout du compte.

C’est l’un des paradoxes où chrétiens et bouddhistes se rejoignent : qui s’agrippe à sa vie la perd. Plus je garde jalousement et précieusement ma petite vie par-devers moi, plus elle perd de sa valeur. Plus je l’ouvre et l’offre aux autres au contraire, plus elle s’enrichit et gagne en valeur.

Ce qui ne me dit toujours pas ce qui en moi lance cet appel confus à obtenir la foi (celle dans le Christ). Un vide que je cherche à combler? Quelque chose comme ça, je suppose.

C’est qu’avec Jésus, comme avec plusieurs figures mythiques, il y a quelque chose de radical, de fondamental : je ne peux pas me contenter de juste m’en inspirer. Je vais dire une bêtise, parce qu’une telle chose est un contresens spirituel, mais quelque chose en moi veut le posséder, l’intégrer à moi-même définitivement, en faire une partie intégrante de moi-même. Que je sois inséparable du Christ révolutionnaire et qu’il soit inséparable de moi. Comme dit Merton, avoir un Dieu personnel, qui ne soit pas désincarné, qui ne soit pas une série de rites accomplis pour Le posséder, justement.

Mon amoureuse me demande pourquoi je fais le carême si c’est pour me remettre à manger du junk food après, à regarder de la porn, fumer des clopes, avoir des divertissements douteux, et autres calories vides.

Elle a raison, juste un carême exécuté de même, c’est évidemment vide de sens, à part peut-être en tant que rite pour affirmer son appartenance au courant spirituel catholique. Ce qui n’est pas mon cas… pas tout-à-fait, même si ma part la plus rebelle à la marchandisation du monde et à sa désacralisation, ma part la plus anticapitaliste, celle qui appelle à l’objection de croissance personnelle durant le carême, comme un entraînement en vue d’un « Grand Soir », mettons, pour faire simple, je la dois peut-être bien à mon héritage chrétien.

L’affaire est que justement on accomplit ce rituel dans l’espérance que ce  vide du superflu auquel on soumet nos appétits grossiers (ceux qui nous dévorent en fait), que cette privation nous fera mieux sentir nos soifs les plus profondes (celles qui a contrario nous nourriraient). Que de ce long rituel nous sortirons changé.es. Plus ou moins radicalement, selon ce que nous sommes prêt.es à y perdre de vieilles habitudes, de ce que nous croyons être nous-mêmes, de ce que nous croyons être notre liberté.

  

18 février 2021

Jasé de foi avec ma mécréante d’amoureuse, ce matin. Jasé de cette chose en moi qui aimerait donc avoir la foi.

Peut-être que je chercherai toujours Dieu là où il n’est pas tant que je le chercherai en-dehors de moi. Et où il est en moi, c’est là où il a mis son don, son cadeau à l’humanité. Ce cadeau qu’on découvre, à un moment ou l’autre de notre enfance. On le reconnaît à ce ton juste, cette jouissance de soi au diapason de l’univers. C’est un don qui nous fait découvrir des potentialités en nous, des mondes, et nous donne à partager notre émerveillement des possibles avec nos semblables. Ce don qui fait du bien à nous comme aux autres, si on a l’opportunité de le développer et d’apprendre à en user.

Mener ce don à la perfection est la voie pour approcher la sainteté. Et selon ce que j’ai pu expérimenter jusqu’à maintenant, ou constater autour de moi, le plus sûr moyen de gâcher sa vie, et celle de toutes les personnes qui nous entourent, c’est de chercher la sainteté par d’autres moyens.

Pour certains êtres, la sainteté passe par la vie monacale, pour d’autres c’est par une forme ou une autre d’art, de technique, de militance, etc.

Après, il est bien sûr loisible à chacun.e de devenir un moine fou, une moniale intempestive, ou un.e scientifique poussant son art à la création de monstres. L’ascèse ne garantit en rien la sainteté en fin de compte.

Pour moi il devient clair que, malgré un tempérament qui va toujours plus solitaire, je ne suis pas (entièrement) fait pour la vie monastique ; la révolution intérieure, la Révélation s’est produite autrement, elle s’est faite et s’exprime par l’encre, par le papier, par leur partage.

Je n’en ai pas fini avec Dieu pour autant. Il y a quelque chose de profondément magique dans ce monde et je tiens à participer à cette magie, à en être partie prenante. Et ma tâche première à cette fin c’est de m’approprier pleinement mon pouvoir, le cadeau qui a été déposé en moi. Si je ne le fais pas, je m’exclus de la magie du monde, je me fais hors-la-magie, je me dessèche ; dès lors je participe de l’effacement du sacré dans le monde, à son ossification, à l’attentat à la Vie par suicide intérieur.

 

19 février 2021

Il ne suffit pas pour devenir saint.e d’engager entièrement et exclusivement notre part sublime au cadeau qu’on a reçu, quitte à devenir parfaitement imbécile dans le reste de notre vie. L’exemple classique est la dichotomie Verlaine l’auteur lumineux de Sagesses et Paul l’homme violent et un peu taré. Je n’ai pas l’intention de faire ici un réquisitoire des génies toxiques (Liv Strömquist l’a fait beaucoup mieux que je ne le pourrais dans I’m Every Woman), mais évoquons encore seulement la liberté à double standard qu’a produit par exemple un mouvement Beat largement masculin, d’où les femmes ont été éclipsées, ou reléguées à torcher la progéniture des génies émancipés.

Notre cadeau, c’est ce que Dieu a mis en nous pour toucher le cœur de nos semblables. Quand on est touché, bouleversé, mis en joie par l’action d’un.e autre, c’est une parcelle de Dieu qui shine là-dedans. Quand je m’émerveille de la verve et de la fécondité jouissive et polymorphe d’Anne Archet, c’est Dieu, celui qu’on appelle le Dieu vivant, qui jouit avec nous. Quand mon cerveau lague de surprise et de dubitativité avec les images de Nadine Boulianne, c’est Dieu qui s’est fait Trickster et qui me provoque. En gros. L’art d’un garagiste ou de n’importe quel geek me met dans un état d’étonnement souvent proche de la grâce.

C’est là peut-être que la sainteté de notre don s’arrête. Il ne fait pas nécessairement de nous de bonnes personnes. Ou en tout cas on peut tout-à-fait être un très-saint-trou de cul.

Il y a aussi des moments où il nous faut prier autrement qu’avec notre cadeau, en-deçà, ou au-delà. Prier en silence, prier dans l’impossible, pour ne pas oublier qu’on ne peut espérer changer le monde sans le monde… sans le reste du monde, sans toute la part problématique de l’humanité. À laquelle nous appartenons sans conteste, portant notre part d’ombre, notre croix intime.

Une réflexion au sujet de « Carême »

  1. Qu’est-ce que la foi: C’est avoir confiance en Dieu, se fier à Lui comme le fondement de notre vie d’où tout part et tout s’achève. Le doute fait partie de la foi. C’est trouver au fur et à mesure les réponse à nos questions pour devenir des saints qui est l’objectif acte charité pratique dans l’amour de ceux qui nous entourent; cette communion avec Jésus.

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